Je suis allé jeudi dernier assister à la présentation des résultats de l’étude de l’ APACOM, sur l’évolution des métiers de la communication en Nouvelle Aquitaine. Je m’intéresse beaucoup à ces métiers et ils “me” le rendent bien : la question de la révolution numérique est cette année le noyau incontestable du questionnement.
Clairement, les outils de communication digitale sont déjà et seront de plus en plus intégrés aux stratégies de communication “globale”.
En bon prestataire numérique pavlovien, je salive à la lecture du focus et m’inscris avidement au facebokesque événement :
ô joie, les chemins de nos beaux métiers vont-ils enfin se rejoindre dans un riche mariage fleuri ?
Me voici donc à 18h pétante. Un soleil rasant caresse l’Hôtel de région et ma calvitie naissante. Le regard perdu au loin, mon esprit gambade nu dans le champs fleuri de notre future vie commune : la “communication traditionnelle” et la “communication digitale” ! Enfin réunies ! Joie.
Vous l’aurez compris, cette entrée en matière lyrique va nous mener sur un os. Rien de bien méchant en soi, la concrétisation factuelle et chiffrée de tendances que je ressens ces dernières années.
Avant d’aller plus loin, je remercie au passage la Région et l’ Apacom pour la qualité sans faille de cette manifestation : la logistique et le contenu étaient ultra pro, et l’accueil vraiment bienveillant.
N’y voyez aucune forme d’ironie, j’étais emballé pour de vrai :
Merci @APACOMaquitaine pour cette excellente soirée ! Qualité++ #obscomna #communication pic.twitter.com/dYBtCvnoZO
— Guillaume Dardier (@GdArdier) March 29, 2018
Les réflexions que vous lirez ci-après ne s’adressent donc en aucune façon à l’APACOM ni à leur excellent travail : il s’agit plus de ce que le résultat de ce travail m’inspire sur nos professions.
L’étude APACOM, côté pile
Commençons par le positif : l’étude présente de beaux chiffres et si vous avez besoin de vous rassurer quant à l’avenir de la communication en Nouvelle-Aquitaine, téléchargez dès à présent les résultats complets de l’étude :
https://www.facebook.com/APACOM/photos/a.131105236917157/2007604705933858/?type=3
Ce document fait la synthèse :
- D’une enquête quantitative (301 répondants)
- D’une enquête qualitative menée par 5 étudiants de l’ISIC auprès de 15 professionnels de la communication.
Vous y verrez qu’en 2017, globalement, tout-va-bien :
- Le chiffre d’affaires des entreprises du secteur de la communication en Nouvelle-Aquitaine a augmenté de 17M en 2 ans :
- Sans l’ombre d’un doute, en Nouvelle Aquitaine, la filière communication a du poids :
- Et le secteur recrute :
Ce qui tombe plutôt bien puisque le nombre de demandeurs d’emplois est en hausse :
- La communication prend une place de plus en plus importante dans les organisations :
- Et en plus, la digitalisation de la pratique ne fait plus de doute et devient même un enjeux majeur :
Comment, dans ces conditions, ne pas boire son petit lait quand on gère une agence digitale ?
Ne devrais-je pas sauter au plafond et gambader nu comme promis ? (spoil : vous ne me verrez jamais gambader nu)
Je devrais, mais au travers de ces rayons roses, je discerne (peut-être à tort) : un nuage, qui présage, un naufrage…
En réalité nous n’en sommes pas au naufrage, mais je le garde pour la rime. Toutefois, certains résultats de l’étude me laissent assez perplexe.
Les résultats de l’étude APACOM côté face
Après quelques années d’activité, il arrive qu’on “ressente” dans son quotidien quelques signaux faibles. Les uns donnent des idées, les autres des inquiétudes. L’enquête d’Apacom m’a bien donné quelques idées, mais a surtout nourri d’éléments concrets certaines de mes inquiétudes.
Je vous les propose en vrac, comme un “ressenti” général sans validité scientifique, uniquement fondé sur mes expériences, mes conversations, mes lectures et mon petit nez (qui me parle parfois) :
Emploi :
Je lis qu’en Nouvelle Aquitaine, 7500 demandeurs d’emploi se partagent un “gâteau” de 1133 offres d’emploi sur un an, publiées chez Pôle Emploi. Si je compte bien ça nous fait à peu près 6 chômeurs pour un employé.
Vous me direz que les 1133 offres sont certainement sous évaluées puisqu’une large partie d’entre elles ne passe pas par les réseaux officiels type Pôle Emploi. Vous aurez raison de le dire et je vous répondrai que cela vaut très probablement aussi pour la demande :
je n’ai pour ma part jamais contacté les réseaux officiels pour embaucher qui que ce soit.
Si ce chiffre n’est pas “le juste chiffre”, je pense qu’il pointe quand-même une tendance, pas si rose.
D’autant que :
77 établissements “dégueulent” (pardon pour la comparaison mais je n’ai pas d’autre mot) chaque année 77 promotions de jeunes diplômés du secteur en Nouvelle Aquitaine :
Suis-je complètement à côté de la plaque en disant que nous sommes en train de scier la branche (c’est le cas de le dire) sur laquelle nous sommes posés ?
J’ai vu la même tendance dans les métiers du digital, avec par exemple l’explosion du Community Management : sans régulation à l’entrée, il y a aura bientôt plus de community managers que de sociétés (non non, je n’ai pas le goût de l’exagération) et probablement beaucoup de vocations déçues par la perte de valeur de leur jeune métier.
Motifs d’action
On l’a vu, il apparaît clairement dans cette étude que le digital est devenu incontournable. C’est une bonne chose, voilà que je repense aux fleurs :
Mais un peu plus loin, je ne gambade plus du tout :
Je ne suis pas absolument sûr de mon interprétation (si je me trompe, n’hésitez pas à m’en informer en commentaire), mais… Ma compréhension est la suivante :
- le digital est la priorité
- la crédibilité est la seconde priorité
Or…
Si les principaux projets de communication concernent le digital, j’en conclue (peut-être hâtivement) que le motif le plus important du basculement digital est… la crédibilité.
Autrement dit, “il faut absolument faire du digital pour ne pas passer pour des cons”.
Dans ce cas, le motif d’action n’est aucunement corrélé à la compréhension du média, de ses potentiels et de ses risques.
Nous serions alors bien loin du mariage fusionnel et fleuri, mais encore bien près de ce cri du coeur qui me faisait tant grogner en 2017 : on y va « parce qu’il faut y aller »… Mais on a toujours pas compris à quoi ça sert.
A ce propos, je rencontre encore régulièrement des gens qui voudraient m’acheter des prestations mais ne veulent “surtout pas en entendre parler” :
…Je me demande qui ferait ça dans un magasin ?
Bref, si les gens y vont pour la crédibilité, il y a encore du pain sur la planche car on ne débloque pas un budget “crédible” en communication pour ce seul motif.
Budgets
Les budgets, parlons-en justement !
Nous lisons donc partout l’explosion du digital. Et il se trouve que la cour de récré devient de plus en plus vaste : référencement naturel, sites web, blogging, médias sociaux, publicité, canaux d’influence, mobile first, etc.
… Donc, de plus en plus de postes de dépense pour la communication qui souhaite intégrer le digital… De nouveau Pavlov m’appelle, je salive.
Mais je rentre vite ma langue :
En toute logique commerciale, un budget comm’ est ce qu’il est : un budget. On a beau multiplier les canaux, aucune corrélation mathématique ne vient multiplier les pains et la magie ne s’opère pas.
Nous entrons dans l’ère du “toujours plus pour toujours moins”. N’ayant pas moi-même la capacité de multiplier les pains (croyez-le, je le déplore), s’il faut plus de qualité, livrée plus vite sur plus de supports… je me demande où se trouve le loup.
Prenons l’achat média :
Les chiffres présentés viennent confirmer ce qu’on a vu plus haut : vive le digital !
Mais voilà l’os :
Je salue au passage ceux qui “ne savent pas” ou ne sont “pas concernés”.
Nous avons donc, sur le papier, un parterre d’acheteurs de plus en plus exigeants, souhaitant :
Avec :
- un budget figé et de plus en plus dilué dans sur canaux de plus en plus nombreux
- et un souci ROIste de plus en plus exacerbé
Tout cela me laisse rêveur… mais ne me fait pas rêver.
Et le côté sombre ?
Je précise une fois encore : l’APACOM n’est pour rien dans ce qui suit 😉 Je me sers ici du « mot de la fin » comme tremplin sur cette question lourde qui me hante un peu : et l’humain ?
L’humain, c’est LA grande question de fin de session. On la retrouve dans la plupart des conférences auxquelles j’assiste depuis quelques années : à la fin, on se souvient qu’au fond, tout ce ROI, tous ces KPI, tous ces budgets, tout cela n’a qu’une finalité : parler à autrui, dégager quelque chose du registre de la relation humaine.
Oui, à une époque où l’on écrit pour les robots (Google mon amour), fait parler des robots (Twitter mon amour), où certains blogs sont des robots (MFA mon amour), où d’autres robots distribuent la publicité (RTB mon amour) selon des critères ciblés sur des données de plus en plus humaines, parfois dérobées par des robots mais le plus souvent livrées en toute (mé)connaissance de cause par les humains eux-mêmes (Cambridge Analytica mon amour) …
Les années passent mais le sujet reste : je ne changerais pas une virgule du premier article que j’ai publié sur ce blog : L´Humain, facteur X d’une stratégie digitale. (2012)
Je ne changerais pas non plus une lettre de celui publié hier par Claire Bouchareissas à l’issue de la même conférence où nous nous sommes retrouvés : Digital ET humain !
OUI ! La communication vise l’humain, c’est même la seule chose qui la constitue.
Communication : « ensemble des interactions avec autrui qui transmettent une quelconque information » (source : Wikipedia)
Je ne lis pas dans cette définition : « technique visant à imposer par tous les moyens techniques et psychologiques un message à un parterre de bœufs ». Je crois que dans l’absolu, personne ne voudrait lire cela… mais la roue tourne vite.
Malgré ce cri du coeur si récurrent chez les professionnels de la communication (j’ai même entendu “l’humain avant tout” dans des conférences de spécialistes de la publicité programmatique, c’est dire…), force est de constater qu’au regard des technologies développées dernièrement, le cri en question commence à chevroter une angoisse profonde quant au ROI, pour l’humanité, des actions que nous sommes en train programmer, tel un tweet à nos enfants.
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