Depuis que je traîne mes guêtres sur le sentier de la communication digitale, j’entends beaucoup parler d’évangélisation. L’évangélisation est dans notre métier ce concept selon lequel nous, travailleurs de l’innovation, parangons de la disruption, partageons la noble mission de transmettre les “nouveaux usages du siècle à venir.

Il faut reconnaître qu’aspiré par la spirale progressiste, j’ai souvent apprécié cette position d’ “Apôtre”, qui renforce positivement l’idée que j’aime me faire de mon métier : participer au changement.

Mais du concept à la réalité, la terre est parfois mal battue : le changement, ça n’est pas (pas toujours) maintenant. Pas partout, pas tout de suite, pas comme on le voudrait.

L’histoire a montré que l’évangélisation finit aussi les bras en croix, position qui apporte certes une hauteur de vue, mais aussi des crampes.

Mon grand âge (j’ai connu le cpc 664, moi !) m’ayant fait perdre le goût du sacrifice, les bras en croix me font une belle jambe, si je puis dire.

Nous vivons une période complexe, où la lutte traditionnelle entre générations se renforce d’un basculement culturel à peu de choses comparable. Les codes en place explosent et les paradigmes s’en trouvent profondément bouleversés.

Un trentenaire sans compte Linkedin est un trentenaire mort. Obsolète, kaputt, raus. Ne parlons pas des quarantenaires. Ne pensons même pas aux cinquantenaires.

Là où la nature suivait un rythme cohérent, où la retraite marquait en douceur le temps d’une forme d’obsolescence, la révolution digitale vient brutalement déclasser les compétences d’hommes et de femmes en pleine force de l’âge.

Et c’est là tout le paradoxe : ces “déclassés en puissance”, ces générations de quarantenaires, de cinquantenaires et de soixantenaires sont aux commandes de navires que nous, braves évangélisateurs aux sabots lourds, leur proposons de “disrupter”. La bonne blague.

Mes amis, qui pour la plupart ont mon âge et sont par voie de conséquence précisément dans la tranche “en cours de déclassement”, ne partagent pas toujours l’humour de la situation. Ni certains de mes prospects, d’ailleurs.

Les uns comme les autres se passeraient volontiers de l’évangélisation que nous leur proposons : imaginez que demain, alors que vous n’éprouvez aucun besoin de changement car votre activité est saine, des gens viennent vous expliquer que si, vous en avez besoin. Que votre réussite avérée ne vaut rien face à leurs expérimentations expérimentales. Que vous devez les suivre (aveuglément) ou mourir (en souffrant).

L’évangélisation, c’est ça.

Se retrouver en situation de prestataire non désiré, avec tout ce que cela peut engendrer de frustration partagée.

  • Les uns pensent : “je suis contraint de faire appel à toi, mais je ne veux pas de toi. Je ne comprends pas ton métier et ne veux pas en entendre parler”.
  • Les autres pensent : “mais pourquoi diable fais-tu appel à moi si tu ne veux pas de moi ?”

Mon propos n’est certainement pas de jeter la pierre aux uns ou aux autres. Plus de constater que cette situation se produit. Et que lorsque c’est le cas, les choses se passent mal… parce qu’il ne peut en être autrement.

J’ai eu jusqu’en 2016 la chance de ne travailler qu’avec des gens qui en avaient (vraiment) le souhait. Le sort m’a rattrapé puisque 2016 a été pour moi l’année de la disruption (de ce point de vue) : j’ai été à plusieurs reprises dans la situation du prestataire non souhaité, cet empêcheur de tourner en rond.

A chaque fois, j’ai ressenti de façon presque physique la menace que je représentais pour des gens à qui j’étais supposé, du moins sur le papier, apporter une plus-value. A chaque fois, la culture du contrôle imprégnait avec force l’ADN de l’entreprise. J’ai lu que la connaissance donne le pouvoir. A l’inverse, l’ignorance donne probablement le sentiment de le perdre. Mais comment puis-je satisfaire quelqu’un que je menace ?

Peut-être aussi que les “nouveaux arrivants” dans la course au basculement digital sont aussi les derniers

Pourquoi ces mésaventures en 2016 ? Est-ce moi ? Est-ce l’ “Autre” ? Une chose est sûre : quelque chose est en train de changer. Peut-être que je perds de ma force d’évangélisation. Peut-être que le marché se durcit. Peut-être aussi que les “nouveaux arrivants” dans la course au basculement digital sont aussi les derniers, ceux qui ont attendu le plus longtemps pour y aller : les sceptiques.

Sans doute un peu des trois et bien d’autres raisons…

Le fameux rapport changement / résistance au changement cher à la psychologie du travail et des organisations vient percuter pour la première fois mon métier, dans tout ce qu’il a de contre-productif. Je réapprends la vie dans ce contexte : on ne change pas les gens contre leur gré.

Mais en 2017, quand un prospect m’annoncera “je comprends rien à votre truc, là, ça ne m’intéresse pas et je ne veux pas en entendre parler mais j’ai compris qu’il faut y aller”, peut-être que je m’éloignerai sur la pointe des pieds, et laisserai à un plus courageux que moi le rôle de Jésus 2.0

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