J’invite aujourd’hui Aurélien Haye à nous parler de la stratégie commerciale de Google. Un article doux-amer et plein d’ironie, qui nous laisse un drôle de goût.

Ce ne sont ni les hommes, ni les passions, encore moins les idées qui mènent le monde. Mais les mots, rien que les mots. (Bruno Tessarech)

De cette maxime qui pourrait être sienne, Google a créé un modèle commercial unique en son genre et a bâti un empire économique dont les fondations sont solidement ancrées dans le langage. L’idée de génie : privatiser le dictionnaire et vendre aux internautes leur propre langage.

J’aimerais ici nous interroger sur la légitimité pour une entreprise de s’accaparer le verbe. Est-ce normal de payer pour posséder un simple mot ? Est-il moral de déposséder au plan symbolique un peuple de son idiome ?

N’y a-t-il pas sur le plan philosophique une forte contradiction entre cet état de fait et l’ambition première et clairement affichée de Google qui est de développer et partager au mieux la connaissance ?

Commençons par aborder le processus et la façon dont l’empereur exerce son autorité sans partage sur le dictionnaire. Le système Adwords est le bras armé de Google, c’est sa régie qui gère la vente de mots-clés. Structurellement, il s’agit d’une solution de référencement payant pour que le site web d’un tiers apparaisse en première page (voir plus rarement en seconde) de Google dans ses résultats de recherche naturels :

exemple-adwords

Exemple d’affichage Google Adwords

 

Google se rémunère par ce qu’on appelle le CPC, le CPM ou le CPA… Explications :

  1. le CPC : c’est le fameux « Coût Par Clic », c’est à dire qu’à chaque fois qu’un internaute clique sur le lien redirigeant vers le site web, Google récupère une somme d’argent préalablement négociée.
  2. Le CPM : plus rare que le CPC, il signifie « Coût Pour Mille », l’annonceur paiera à chaque fois que Google fera paraître 1000 fois une annonce.
  3. Le CPA : encore plus rare que le CPM, il représente le « Coût Par Acquisition », c’est le même système qu’avec le CPC sauf que l’internaute va devoir effectuer une action spécifique (inscription à une newsletter, achat etc.) une fois qu’il aura été redirigé sur le site de l’annonce. On appelle cela une conversion ou une acquisition.

Tout ce système fonctionne sur la vente de mots clés via une enchère. Dans notre exemple, les mots clés utilisés sont « chambre d’hôtes bordeaux » et ceux qui mettront le plus d’argent sur la table (ainsi qu’un contenu pertinent, il faut bien le dire) apparaîtront plus souvent que ceux qui en mettront moins… Et hop le tour est joué ! Voilà comment 3 mots de la langue française viennent d’être vendus !

Il est vie, esprit, ouragan, vertu, feu ; car le mot c’est le Verbe et le Verbe c’est Dieu.(Victor Hugo)

Dans l’univers Google, on a tendance à oublier que l’on n’est pas chez nous, que nous sommes dans un empire transnational qui impose ses lois en évoluant sur la toile mais il est primordial de rappeler qu’il ne force (encore) personne à utiliser son moteur de recherche.

Bien que le succès de ce dernier le confonde souvent avec le Web en lui-même grâce à son efficacité, sa pertinence et l’éventail de services de moins en moins gratuits qu’il propose, cela ne peut suffire à rendre Google autre chose que ce qu’il est : une entreprise privée. Et cela, l’internaute a trop souvent tendance à l’oublier.
D’ailleurs, on ne peut même pas accuser le king américain d’être en situation monopolistique puisque la présence, certes discrète, de concurrents comme Bing ou Yahoo lui sert de caution (les mauvaises langues pourront toujours rajouter « morale »). D’ailleurs, ces mêmes concurrents ont aussi une régie publicitaire qui repose sur le même système de vente de mots clés, preuve que le forfait n’est pas l’apanage de notre bon roi !

Néanmoins, si l’empereur, en vertu de la multitude de services gratuits qu’il offre, est déjà bien bon envers ses hôtes, veillons donc à ne pas oublier que nous ne sommes jamais que ses invités.

Si sur le plan moral, le souverain conserve sans encombre la couronne sur sa tête et la tête sur ses épaules, il en va tout autrement de ses ambitions… Tout auréolé d’une grâce désintéressée émanant d’une volonté de partage de la connaissance et du savoir, Google se targue de rendre le Web meilleur en favorisant l’échange.

Là, en revanche, notre bon suzerain qui génère des millions de dollars prend ses hôtes, avec qui il ne partage ni la Dîme ni la Gabelle, pour ses bouffons. Il n’ose pas encore nous dire qu’il combat la faim dans le monde tout en recherchant un papa et une maman pour chaque orphelin mais l’effet escompté est plus ou moins le même… S’il était si sympa, il nous les ferait pas payer nos mots !

Plus sérieusement, comme nous le disions précédemment, Google n’est rien d’autre qu’une entreprise ultra-capitalistique utilisant comme cache-sexe le partage, qui est en quelque sorte, le marqueur idéologique du Web, pour générer de l’argent. Ce « marketing arrangé » n’est en réalité qu’une duperie de bonne guerre, dirons nous, et participe à cette image « cool » que la firme de Mountain View orchestre savamment à travers son Google Plex par exemple.

Bon, admettons-le, une image quelque peu « enjolivée » pour booster une société, c’est comme une salle du trône bien lustrée, ça fait plaisir aux invités mais c’est pas pour autant qu’il faut se croire en république. Le mal n’est pas bien méchant et beaucoup d’autres entreprises ont recours aux mêmes artifices qui restent plus agaçants par leur fausseté que répréhensibles pour malhonnêteté.

Google is King, rest of the world is Following (Mon humble personne)

Alors vous l’aurez certainement compris si d’un point de vue pragmatique, il n’y a rien à reprocher au roi du Web ou à sa stratégie commerciale, d’un point de vue philosophique, le procédé reste gênant voire dérangeantGoogle nous a juré de partager le savoir et de le mettre à la portée de chacun en privatisant le dictionnaire. Étrange.. !


Observateur des évolutions du monde digital, Aurélien Haye s’intéresse plus particulièrement à ses interactions avec certaines disciplines telles que l’histoire, la philosophie, le droit… En essayant d’apporter un éclairage nouveau.